La transmission des Bujutsu, et des Kobudo

Depuis sa formation en tant qu’institution (1192), le Bujutsu japonais s’est de plus en plus décalé de la culture urbaine. Les arts militaires occupaient tout l’espace culturel. Les militaires s’étaient saisis du pouvoir politique, les grands clans gouvernaient dans différentes régions et le Mikado, l’Empereur et la noblesse étaient réduits à  un pouvoir symbolique. De plus, Tenno, l’Empereur exerçait et exerce encore aujourd’hui la fonction de Grand Prêtre, du Shintoïsme.

Entre le 12e siècle et le 17e siècle, les clans militaires, les Buke, vont se confronter et lutter pour le contrôle des régions et finalement pour la domination entière du Japon. La culture militaire s’étalera à travers l’étude et la pratique de 18 disciplines martiales, le Ju Happan.

Dans ses débuts, les arts militaires se transmettaient dans les familles et familles élargies, puis dans le clan. Les individus qui s’étaient distingués dans les combats, décrochés plusieurs victoires et qui étaient une source d’inspiration pour les jeunes des clans se voyaient offrir le poste d’instructeur quand ils décidaient de se retirer de la vie militaire.

L’expérience de ces guerriers, les Bushi, représentait une richesse culturelle sans prix. Non seulement, avaient-ils vécu la rigueur des champs de bataille, avec toutes leurs horreurs, mais leur survie des combats démontrait que ces survivants avaient compris certains aspects de la guerre et des affrontements armés qui échappaient à la vaste majorité des combattants ordinaire.

La puissance militaire apportait une certaine puissance politique aux clans. Or, la puissance militaire et combattive reposaient sur la formation et la qualité d’entrainement de ses jeunes guerriers bushi. Ce qui au début reposait sur l’expérience de quelques individus de marque, devint un système de formation entouré de secrets. La survie des membres du clan dépendait de leur capacité de ressentir le danger et de gérer la situation. Dans les bujutsu, arts martiaux, un affrontement menait presque toujours à la mort d’un des combattant. Ces arts étaient conçus de manière à rapidement éliminer un danger.

Les maîtres consignèrent leur expérience, leurs connaissances, leurs stratégies et leurs réflexions par écrit sur des makimono. Ces rouleaux devinrent les archives de l’école ou du Ryū. Quand un successeur à la tête de l’école était choisi, le maître transmettait à son disciple les secrets techniques et spirituels qui encadraient l’étude de cette école.

Des erreurs techniques étaient placées volontairement dans les makimono afin de confondre tout individu qui volerait ces documents et qui tenterait de s’approprier leur connaissance. Lors de la transmission orale, du Soke au Deshi, le maître instruisait son successeur sur les secrets du makimono et du Ryū.

« Contrairement aux idées reçues, les sciences exactes étaient déjà bien présentes à l’époque féodale japonaise. Très peu considérées au regard des études morales elles étaient pourtant indispensables aux samouraïs qui s’en servaient dans des domaines aussi variés que l’artillerie, la construction des châteaux, la topographie, l’astronomie, etc. Pourtant l’enseignement des Koryū (traditions antiques) n’a jamais été transmis sous un angle « scientifique » et « analytique » tel que ces notions sont communément admises en occident.

Bien entendu les bujutsu ont été créés à partir d’observations, d’analyses, de manière empirique. Mais si un ensemble de formes peut être étudié par l’analyse, ce qui fait leur efficacité ne peut être saisi dans son intégralité que par le ressenti. Le corps humain est une chose incroyablement complexe et l’efficacité d’un geste martial nécessite d’accomplir simultanément ou en décalé, dans des directions opposées ou unies, un nombre d’actions trop important pour que le cerveau puisse les coordonner consciemment. L’étude logique aboutit alors à une impasse dans la pratique, raison pour laquelle elle n’a jamais été utilisée par les bushis pour la transmission d’un enseignement qui leur était vital. Au contraire la transmission traditionnelle était axée sur le ressenti et l’intuition. Méthode d’enseignement parfaitement illustrée par l’expression « i shin den shin », d’âme à âme. Léo Tamaki, La transmission dans les arts martiaux

Cette expression issue du zen se traduit approximativement par « d’âme à âme » ou de « cœur à cœur ». Elle est l’illustration parfaite de l’enseignement non verbal qui est l’essence de la transmission de l’ensemble des « do », que cela soit en zen, chado, shodo, budo, etc. » Léo Tamaki, I shin den shin

Nous devons comprendre que les Bujutsu, arts martiaux d’avant Edo, sont dans leur esprit traditionnel un anachronisme à notre époque. L’homme moderne, est à la recherche de réponses et si les ryū féodaux refusent de s’assouplir et devenir des instruments vivants et dynamiques dans cette recherche, ils sont, comme les religions dogmatiques condamnés à disparaître. Plusieurs centaines de ryū ont déjà disparu ; peut-être ne répondaient-ils pas aux besoins des individus. Alors que d’autres ryū, se sont remis en question, ont remanié leurs structures et tout en conservant l’esprit traditionnel ils ont cherché à répondre aux besoins spirituels des individus. Ces bujutsu continuent à grandir et à transmettent un trésor culturel et spirituel qui enrichi l’individu qui s’y plonge.

Contrairement aux bujutsu, les kobudō sont une source infinie pour la réalisation intuitive et spirituelle de l’individu. Ceci dit, bien qu’ils soient un instrument fantastique pour répondre aux besoins existentiels de l’individu, encore faut-il que l’enseignant ait fait la démarche, le Michi, et en comprenne le Kokoro. Là, réside le profond secret du Kobudō, la connaissance des techniques n’est que la coquille de la discipline. L’ignorant se gave de techniques et se prive de l’essentiel. Les kobudō qui naquirent durant Edo, furent profondément influencés par la culture urbaine et le nouveau courant du Wáng Yángmíng 王陽明, Oyomei en japonais et qui centre sa recherche sur le développement de la créativité et de l’Intuition- Kan

Shihan

Dans les groupes traditionnels, les titres étaient simples : Sōke (宗家) celui qui transmet la tradition et Shihan (師範) professeur ou maître modèle ou phare, celui qui enseigne la tradition. De nos jours, l’individu qui a étudié un ryū complexe, c’est à dire une école qui est un jutsu et qui regroupe plusieurs disciplines doit détenir un Menkyō Kaiden pour transmettre une tradition de manière autorisée. Dans les kobudō, les voies martiales traditionnelles, comme le Iaido, le titre Shihan est une autorisation de transmission et une reconnaissance que ce professeur a étudié et qu’il connaît toutes les techniques et l’enseignement ésotérique du ryuha.

Les kobudō issu des écoles traditionnelles à partir de l’Ère Edo, 1617, n’ont aucun système de gradation kyu-Dan. Le maître, le Shihan va habituellement remettre un document écrit à l’élève qui a terminé l’étude et acquis la compétence technique du niveau Shoden, Chuden ou Okuden. Par la suite, l’élève se verra décerner le titre de professeur (Shihan) et l’autorisation de transmettre le corpus et l’esprit de l’École.

Les maîtres disent souvent : « Gaikoku no hitobito wa kobudo no Kokoro O rikaii suru no ga mutsukashi yo u desu (Pour la plupart des étrangers l’esprit du kobudō est difficile à saisir et à comprendre) »

La tradition passe du Kokoro du sensei au Kokoro de l’élève. Ce qui explique le constant refus des maîtres traditionnels à accepter de transmettre leur art à des occidentaux imbus de leur intellect et leur raison. Résultat, on dirige les  les étrangers « gaijin », vers les disciplines sportives. Tout ce qu’on exige d’eux c’est de la performance et en retour on leur donne de petits cadeaux qui les encouragent; des kyu et des dan.

Encore aujourd’hui, au Japon, les maîtres traditionnels enseignent à de petits groupes de quelques dizaines d’individus. La sélection est exigeante : il faut accepter et être prêt à remettre en question toutes ses convictions et ses perceptions. Il faut lâcher prise. Rien n’est plus incertain que le monde du Kobudō. Il faut retourner au premier enseignement du bouddha Sakyamuni pour en saisir toute l’immensité. L’Éveil spirituelle est l’étape ultime. ― Réal Genest Sensei