Il est dit que SANDOKAI est l’essence du Bouddhisme. Comprendre SANDOKAI, c’est accéder à la compréhension du Kobudô, les voies martiales traditionnelles japonaises. Or, les disciplines du Kobudô visent le même objectif que poursuivent les moines Zen : la réalisation spirituelle ou le « Satori ». Sans cette réalisation, la pratique d’une discipline du Kobudô n’est rien de plus qu’un jeu de situations, un théâtre de guerriers nostalgiques ou une rencontre de membres d’un club social orientalisant. Pour les occidentaux qui ignorent tout des éléments fondamentaux de la culture japonaise et de ses traditions, le Kobudô se déguise en « Arts martiaux » et l’exotisme du samurai vient exacerber leurs fantasmes de guerrier.
Sandokai n’est pas une discipline, c’est un instrument, c’est un phare sur la Voie. Sandokai indique la Voie à suivre; le disciple poursuit ses recherches. À travers l’étude et la pratique des disciplines du Jodo, du Kendo traditionnel et du Iaido, l’élève explore les aspects psychologiques et spirituels mis en lumière par Sandokai.
Ainsi, SAN regroupe nos perceptions habituelles et quotidiennes. Nous établissons qu’il y a nous et les autres. Il y a une différence, une distance entre les autres et nous. SAN est cette perception des différences qui nous laissent croire que nous sommes une entité dans un univers occupé par d’autres entités. Cette vision trompeuse nous amène à croire que nous sommes des entités isolées et auto-suffisantes. Notre croyance en une « âme » individuelle est le résultat d’une telle vision limitée. À partir d’une telle vision, notre conscience fragmentée évalue le monde et nos relations avec le monde.
Dans le Kobudô, la fragmentation de la réalité de SAN peut prendre plusieurs formes. On peut établir qu’il y a nous et notre partenaire d’entraînement ou il y a nous et l’arme avec laquelle nous nous entraînons. Dans la pratique du Kendo traditionnel, le Bokken, le sabre en bois, est une entité séparée de nous, en apparence. Tout l’entraînement de base vise à apprivoiser cet instrument et à faire en sorte qu’il fasse partie de nous qu’il soit le prolongement de notre corps.
Avec le temps et de la détermination, le corps accepte l’arme. Les différences disparaissent. Nous faisons « UN » avec notre arme. Durant la pratique, il arrive, à l’occasion, un moment où nous nous engageons dans une attaque et qu’à cet instant nous perdions toute notion de notre environnement, de notre arme et de nous-même. Durant une fraction de seconde ou un très court laps de temps nous n’avons plus conscience d’être en train de faire le mouvement et d’avoir en main le sabre. Habituellement, cet instant de parfaite symbiose est porté par un Kiai, un cri. Le cri a pour fonction de fusionner tous les éléments, l’esprit, le sabre et le corps dans un seul momentum. Dans l’attaque, il n’y a plus de conscience, il n’y a plus de sabre et nous perdons toute notion de notre être; ce qui s’exprime, c’est l’énergie des trois éléments, le Ki. Cet instant sublime porte le nom de DO. Il ne faut pas confondre ce DO et le « Dō » qui signifie la Voie, le cheminement.
Durant la phase DO, toutes les différences arbitraires s’évanouissent, l’individu est totalement centré, et non concentré, dans son geste. Il est à la fois le corps, la conscience ou l’énergie qui anime son corps et le but visé. Tout se passe comme si tous les divers éléments qui occupaient beaucoup de place dans son cerveau étaient compressés en un minuscule point. Les fonctions habituelles de l’hémisphère gauche de notre cerveau sont désactivées. Elles qui en temps normal occupent toute la place et qui se comportent comme si elles étaient les seules et les authentiques fonctions de l’esprit humain, elles se voient bloquées et elles deviennent simples spectatrices pendant que la pleine conscience cosmique de l’individu surgit de l’hémisphère droit et s’exprime dans un momentum parfait.
Cet espace, libéré de l’activité de la conscience fragmentée, laisse une place aux manifestations globalisantes de l’Intuition. L’individu prend conscience qu’il est l’énergie de son sabre, de son corps, de sa conscience et que ces diverses énergies sont la même énergie qui anime l’Univers et la Vie dans l’Univers. Le Satori peut être défini comme étant le moment où l’individu prend conscience qu’il n’est pas cette entité individuelle que sa conscience fragmentée lui a toujours laissé croire qu’il était, mais qu’il est cette énergie totale qui surgit de sa véritable conscience, à un moment, lorsque toutes les conditions sont réunies. L’entraînement vise à préparer l’individu et à réunir les conditions qui favoriseront l’éclatement de la coquille de l’individu et l’émergence de son énergie spirituelle.
Cet instant qui favorise l’émergence du « Satori » ou de la prise de « Kan », l’intuition cosmique est appelée l’Illumination spirituelle. Sa perception habituelle et limitée bascule et elle laisse la place à une vision nouvelle de sa relation avec la Vie, la Mort et l’Univers.
Quand l’expérience de l’action unifiée est terminée, l’individu revient à sa perception habituelle. Par l’entraînement soutenu et répété, l’expérience se manifeste plus fréquemment et la perception de la Réalité est plus stable et plus perspicace. Dans sa perception du monde quelque chose à l’intérieur de l’individu est changée. Ce nouveau regard est le KAI. SAN entre dans DO, c’est le KAI, l’individu renouvelé et global.
Dans la pratique du Kendo traditionnel, les maîtres disent souvent : il faut pratiquer KI-KEN -TAI no Ichi:
- KI : L’énergie vitale, la conscience, l’esprit, le « Feeling » …
- KEN : Sabre ou toute autre arme à l’extérieur de nous, celui dont on est séparé…
- TAI : Le corps physique et toutes les manifestations de ce corps : les mouvements, les déplacements…
- No Ichi : en un, unifiés, situation de symbiose…
La pratique du Kobudô, sous l’éclairage du Sandokai, crée une situation favorisant le développement intuitif de l’élève et une harmonie spirituelle avec la Vie. Le Kobudô enseigné selon l’essence du Zen amène l’individu à se réaliser spirituellement. Par-delà cette réalisation, rien n’existe.
Le monde du Budo était en ébullition, l’occident venait de découvrir certaines disciplines de combat. Dans les revues dites « spécialisées et à la télé, on y voyait américains vêtus de costumes loufoques et de très mauvais goût, s’affubler de titre de « Grand Maître » et faire la promotion du style qu’ils venaient de créer. Tout ce que véhiculaient le Kobudô et le Budo sur le plan culturel, moral et spirituel était occulté et remplacé par un cirque disgracieux et insultant. Les maîtres conclurent donc que les « gaijin » étaient incapables de comprendre le « Seishin » japonais. Un américain démontra avec élégance et puissance qu’un « gaijin » pouvait aller à la rencontre de ce trésor culturel et comprendre le « kokoro » japonais; monsieur Donn F. Draeger bouscula tous les préjugés entourant les « gaijin ». ― Réal Genest Sensei